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vendredi 26 février 2016

Travail, amour et fouet

Travail, amour et fouet




Est-ce un a priori, comme l'a illustré Magali Noël dans la chanson de Boris Vian (Fais-moi mal Johnny, paroles ci-dessous) , le travail salarié est-il une relation sadomasochiste qui va du plaisir à la souffrance, de l'amour qui fait boum à celui qui fait bing.

Un a priori plutôt bien ancré dans notre société où avoir un comportement viril pour diriger une équipe est très bien vu, et même encouragé. Le vrai pouvoir en définitive c'est la capacité à humilier autrui.1

Que nous soyons une employée modèle, un secrétaire sexy, un ouvrier stakhanoviste, une domestique de services, une caissière souriante, nous nous soumettons tous au pouvoir d'un chef de sévices, d'un directeur de ressources inhumain, d'une contre-maîtresse tatillonne, d'un consommateur méprisant, d'un financier capitaliste (pardon pour le pléonasme).

Toutes ces personnes dont les décisions, le mépris, la pression s'imposent à nous pauvres petits travailleurs comme des coups de fouet pour tenter d'augmenter notre rendement, notre productivité.

Et ils aiment ça les petits chefs. Pour eux la croissance est l'ultime orgasme du boss sadique. Et s'ils ne l'atteignent pas c'est évidemment, parce que le travailleur n'y a pas mis tout son cœur, tout son corps!

Si une relation amoureuse se doit d'être volontaire et consentante, n'est-ce pas aussi le cas du travail salarié ? Ne sommes-nous pas consentant, volontaire à nous soumettre. Avons-nous le choix ?

Je vous entends déjà me souffler que "Si on n'aime pas son travail qu'on le quitte !" et je vous répondrai "mais voyons, comment pouvez-vous dire une chose pareille, ce n'est pas si facile, vous devriez le savoir me semble-t-il, on a peut-être une famille à nourrir, on doit perdre sa vie pour qu'un autre en gagne plus.

Et puis on n'existe socialement que si on a un job : "chômeur" est devenu une insulte.

Et quand est-il du plaisir ?

Un récent sondage du secrétariat social Sécurex rapporte que les conditions de travail déplorables font risquer à 40% des travailleurs un burn out. C'est beaucoup mais ça veut dire que 60% se trouvent bien au travail.

Plusieurs possibilités se proposent à nous pour comprendre ces 60%:

1. Il y a des masochistes ! Probablement. Qui ne souffrent pas des coups de fouets, qui y prennent même plaisir. Les coups et les douleurs, ça ne se discute pas !

2. Il y a tous ceux qui aiment leur travail quoi qu'il se passe. Le travail bien fait.
Dans la Bible, il est écrit que Dieu crée Adam et le place au Jardin d’Éden pour qu'il le travaille, justement. Et qu'il le travaille bien. Puis après quelque temps, suite à un acte de désobéissance et dans une relation d'amour avec sa collègue Eve, Dieu décide de restructurer le paradis, ils se font licencier et expulser avec comme seules indemnisation la souffrance sur Terre mais aussi la connaissance et la liberté ce qui devraient les aider à survivre dans ce monde de brute.

ou 3e possibilité pour ces 60%, une partie de ceux-si sont des petits chefs, oui, car les petits chefs sont aussi des salariés. Il est d'ailleurs souvent, considéré par ses collègues, de même niveau n, comme étant le plus désagréable.

Désagréable mais plus riche, un salarié désagréable, antipathique, autoritaire gagne en effet, 20% de plus que ses collègues aimables,si c'est un homme, et seulement 6% de plus, si c'est une méchante femme.

Je vous assure que la gentillesse ne paie pas. Vous en voulez une autre preuve ?! Oui ? Non ? Oui ! D'accord. Il existe une Journée internationale de la gentillesse, et elle a lieu tous les 13 novembre. En France, on sait où nous a mené la gentillesse le 13 novembre 2015.

Peut-on considérer que les autres, les 40%, qui souffrent d'un burn out sont comme Magali Noël : tout heureux d'être engagé, d'avoir un contrat de travail puis à la fin, ras-le-bol de se faire taper dessus ?

En somme, cet a priori du début ne l'est peut-être pas. Le travail est une relation entre un sadique et un masochiste (je dis un j'aurais pu dire une). Relation de domination à puissance variable, à nuisance variable.

Cette vision sadomasochiste du travail doit venir de mon expérience d'ouvrier dans une verrerie où je faisais les 3 pauses. Les gens qui bossaient là, souffraient, ils essayaient de le cacher en se félicitant d'avoir un boulot, c'est déjà ça, en se félicitant d'avoir une meilleure place que son collègue ou en buvant des Chimay bleus tout au long de la nuit de travail. Mais dans le bruit, la cadence rapide des machines, la chaleur ou le froid, les odeurs, le repas pris sur un coin de table dans l'atelier, pas de fenêtre... et ce n'est pas du Zola.. Tout cela ils le supportaient, ils étaient content de leur situation de prolo aux ordres de la machine !! Aimaient-ils leur travail ? je n'en sais rien, mais ils semblaient aimer leurs souffrances.
Moi, je faisais partie des 40%, j'avais accepté un boulot de merde contre un bon salaire. Mais je fus très heureux de le quitter.

Y a-t-il moyen de s'en sortir ? De passer de l'amour vache à l'amour tout court ?
Quelques pistes, mais juste des pistes, à chacun de trouver sa ou ses solutions.
Il y a par exemple, une solution individuelle, celle défendue par Michel Onfray, celle de vivre un hédonisme ascétique, un épicurisme stoïque, c'est-à-dire apprendre à éviter les déplaisir, voire à prendre plaisir à ces non-plaisirs.
Être heureux de refuser un travail même s'il nous plaît car on sait que la suite sera douloureuse.

Comme le dit Edgar Morin2, l'individu est composé "d'une polarité prosaïque qui commande tout ce que nous faisons par contrainte, pour survivre, pour gagner notre vie et une polarité poétique, celle où l'on s'épanouit personnellement, où l'on vit en communion, où l'on a des moments de joie. C'est cela vivre, vivre poétiquement". Il ajoute "Nous pouvons comprendre que le problème humain n'est pas seulement de pouvoir survivre dans et par son travail mais aussi, y compris si possible dans le travail, de pouvoir s'épanouir et vivre poétiquement". Pour lui, l'humain est à à 100% biologique, mais aussi 100% individu, et 100% social.

C'est pourquoi il faut aussi trouver une solution collective, trouver une forme de société où les relations sociales sont égalitaires, plus respectueuses de tous, moins autoritaire et favorisant l'autonomie.
Une société poétique d'amour libre en somme.

C'est l'amour en fin de compte qui nous amène ici, sur Terre et l'amour est un subtil mélange de souffrance et de plaisir.



Paroles de Fais-moi mal Johnny

Il s'est levé à mon approche
Debout, il était plus petit
Je me suis dit c'est dans la poche
Ce mignon-là, c'est pour mon lit
Il m'arrivait jusqu'à l'épaule
Mais il était râblé comme tout
Il m'a suivie jusqu'à ma piaule
Et j'ai crié vas-y mon loup

Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny
Envole-moi au ciel... zoum!
Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny
Moi j'aim' l'amour qui fait boum!

Il n'avait plus que ses chaussettes
Des bell' jaunes avec des raies bleues
Il m'a regardé d'un œil bête
Il comprenait rien, le malheureux
Et il m'a dit l'air désolé
Je n'ferais pas d'mal à une mouche
Il m'énervait! Je l'ai giflé
Et j'ai grincé d'un air farouche

Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny
Je n'suis pas une mouche... Bzzzzzzzz!
Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny
Moi j'aim' l'amour qui fait boum!

Voyant qu'il ne s'excitait guère
Je l'ai insulté sauvagement
J'lui ai donné tous les noms d'la terre
Et encor' d'aut's bien moins courants
Ça l'a réveillé aussi sec
Et il m'a dit arrête ton charre
Tu m'prends vraiment pour un pauve mec
J'vais t'en r'filer, d'la série noire

Tu m'fais mal, Johnny, Johnny, Johnny
Pas avec des pieds... Si.!
Tu m'fais mal, Johnny, Johnny, Johnny
J'aim' pas l'amour qui fait bing!

Il a remis sa p'tite chemise
Son p'tit complet, ses p'tits souliers
Il est descendu l'escalier
En m'laissant une épaule démise
Pour des voyous de cette espèce
C'est bien la peine qu'on paie des frais
Maintenant, j'ai des bleus plein les fesses
Et plus jamais je ne dirai

Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny
Envole-moi au ciel... zoum!
Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny
Moi j'aim' l'amour qui fait boum!


1. http://www.lemonde.fr/idees/article/2009/12/07/vers-un-sadomasochisme-societal-par-rachid-amirou_1277325_3232.html.

2. Penser global, R. Laffont et FMSH, p. 30 et p. 13

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