Travail,
amour et fouet
Est-ce un a priori, comme l'a illustré Magali Noël dans la chanson de Boris
Vian (Fais-moi mal Johnny, paroles ci-dessous) , le travail salarié est-il une relation
sadomasochiste qui va du plaisir à la souffrance, de l'amour qui
fait boum à celui qui fait bing.
Un
a priori plutôt bien ancré dans notre société où avoir un
comportement viril pour diriger une équipe est très bien vu, et
même encouragé. Le vrai pouvoir en définitive c'est la capacité à
humilier autrui.1
Que
nous soyons une employée modèle, un secrétaire sexy, un ouvrier
stakhanoviste, une domestique de services, une caissière souriante,
nous nous soumettons tous au pouvoir d'un chef de sévices, d'un
directeur de ressources inhumain, d'une contre-maîtresse tatillonne,
d'un consommateur méprisant, d'un financier capitaliste (pardon pour
le pléonasme).
Toutes
ces personnes dont les décisions, le mépris, la pression s'imposent
à nous pauvres petits travailleurs comme des coups de fouet pour
tenter d'augmenter notre rendement, notre productivité.
Et
ils aiment ça les petits chefs. Pour eux la croissance est l'ultime
orgasme du boss sadique. Et s'ils ne l'atteignent pas c'est
évidemment, parce que le travailleur n'y a pas mis tout son cœur,
tout son corps!
Si
une relation amoureuse se doit d'être volontaire et consentante,
n'est-ce pas aussi le cas du travail salarié ? Ne sommes-nous pas
consentant, volontaire à nous soumettre. Avons-nous le choix ?
Je
vous entends déjà me souffler que "Si on n'aime pas son
travail qu'on le quitte !" et je vous répondrai "mais
voyons, comment pouvez-vous dire une chose pareille, ce n'est pas si
facile, vous devriez le savoir me semble-t-il, on a peut-être une
famille à nourrir, on doit perdre sa vie pour qu'un autre en gagne
plus.
Et
puis on n'existe socialement que si on a un job : "chômeur"
est devenu une insulte.
Et
quand est-il du plaisir ?
Un
récent sondage du secrétariat social Sécurex rapporte que les
conditions de travail déplorables font risquer à 40% des
travailleurs un burn out. C'est beaucoup mais ça veut dire que 60%
se trouvent bien au travail.
Plusieurs
possibilités se proposent à nous pour comprendre ces 60%:
1.
Il y a des masochistes ! Probablement. Qui ne souffrent pas des coups
de fouets, qui y prennent même plaisir. Les coups et les douleurs,
ça ne se discute pas !
2.
Il y a tous ceux qui aiment leur travail quoi qu'il se passe. Le
travail bien fait.
Dans
la Bible, il est écrit que Dieu crée Adam et le place au Jardin
d’Éden pour qu'il le travaille, justement. Et qu'il le travaille
bien. Puis après quelque temps, suite à un acte de désobéissance
et dans une relation d'amour avec sa collègue Eve, Dieu décide de
restructurer le paradis, ils se font licencier et expulser avec comme
seules indemnisation la souffrance sur Terre mais aussi la
connaissance et la liberté ce qui devraient les aider à survivre
dans ce monde de brute.
ou
3e possibilité pour ces 60%, une partie de ceux-si sont des petits
chefs, oui, car les petits chefs sont aussi des salariés. Il est
d'ailleurs souvent, considéré par ses collègues, de même niveau
n, comme étant le plus désagréable.
Désagréable
mais plus riche, un salarié désagréable, antipathique, autoritaire
gagne en effet, 20% de plus que ses collègues aimables,si c'est un
homme, et seulement 6% de plus, si c'est une méchante femme.
Je
vous assure que la gentillesse ne paie pas. Vous en voulez une autre
preuve ?! Oui ? Non ? Oui ! D'accord. Il existe une Journée
internationale de la gentillesse, et elle a lieu tous les 13 novembre.
En France, on sait où nous a mené la gentillesse le 13 novembre
2015.
Peut-on
considérer que les autres, les 40%, qui souffrent d'un burn out sont
comme Magali Noël : tout heureux d'être engagé, d'avoir un
contrat de travail puis à la fin, ras-le-bol de se faire taper
dessus ?
En
somme, cet a priori du début ne l'est peut-être pas. Le travail est
une relation entre un sadique et un masochiste (je dis un j'aurais pu
dire une). Relation de domination à puissance variable, à nuisance
variable.
Cette
vision sadomasochiste du travail doit venir de mon expérience
d'ouvrier dans une verrerie où je faisais les 3 pauses. Les gens
qui bossaient là, souffraient, ils essayaient de le cacher en se
félicitant d'avoir un boulot, c'est déjà ça, en se félicitant
d'avoir une meilleure place que son collègue ou en buvant des Chimay
bleus tout au long de la nuit de travail. Mais dans le bruit, la
cadence rapide des machines, la chaleur ou le froid, les odeurs, le
repas pris sur un coin de table dans l'atelier, pas de fenêtre... et
ce n'est pas du Zola.. Tout cela ils le supportaient, ils étaient
content de leur situation de prolo aux ordres de la machine !!
Aimaient-ils leur travail ? je n'en sais rien, mais ils semblaient
aimer leurs souffrances.
Moi,
je faisais partie des 40%, j'avais accepté un boulot de merde contre
un bon salaire. Mais je fus très heureux de le quitter.
Y
a-t-il moyen de s'en sortir ? De passer de l'amour vache à l'amour
tout court ?
Quelques
pistes, mais juste des pistes, à chacun de trouver sa ou ses
solutions.
Il
y a par exemple, une solution individuelle, celle défendue par
Michel Onfray, celle de vivre un hédonisme ascétique, un épicurisme
stoïque, c'est-à-dire apprendre à éviter les déplaisir, voire à
prendre plaisir à ces non-plaisirs.
Être
heureux de refuser un travail même s'il nous plaît car on sait que
la suite sera douloureuse.
Comme
le dit Edgar Morin2, l'individu est composé "d'une
polarité prosaïque qui commande tout ce que nous faisons par
contrainte, pour survivre, pour gagner notre vie et une polarité
poétique, celle où l'on s'épanouit personnellement, où l'on vit
en communion, où l'on a des moments de joie. C'est cela vivre, vivre
poétiquement". Il ajoute "Nous pouvons comprendre que le
problème humain n'est pas seulement de pouvoir survivre dans et par
son travail mais aussi, y compris si possible dans le travail, de
pouvoir s'épanouir et vivre poétiquement". Pour lui, l'humain
est à à 100% biologique, mais aussi 100% individu, et 100% social.
C'est
pourquoi il faut aussi trouver une solution collective, trouver une
forme de société où les relations sociales sont égalitaires,
plus respectueuses de tous, moins autoritaire et favorisant
l'autonomie.
Une
société poétique d'amour libre en somme.
C'est
l'amour en fin de compte qui nous amène ici, sur Terre et l'amour
est un subtil mélange de souffrance et de plaisir.
Paroles de Fais-moi mal Johnny
Il s'est levé à mon approche
Debout, il était plus petit
Je me suis dit c'est dans la poche
Ce mignon-là, c'est pour mon lit
Il m'arrivait jusqu'à l'épaule
Mais il était râblé comme tout
Il m'a suivie jusqu'à ma piaule
Et j'ai crié vas-y mon loup
Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny
Envole-moi au ciel... zoum!
Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny
Moi j'aim' l'amour qui fait boum!
Il n'avait plus que ses chaussettes
Des bell' jaunes avec des raies bleues
Il m'a regardé d'un œil bête
Il comprenait rien, le malheureux
Et il m'a dit l'air désolé
Je n'ferais pas d'mal à une mouche
Il m'énervait! Je l'ai giflé
Et j'ai grincé d'un air farouche
Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny
Je n'suis pas une mouche... Bzzzzzzzz!
Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny
Moi j'aim' l'amour qui fait boum!
Voyant qu'il ne s'excitait guère
Je l'ai insulté sauvagement
J'lui ai donné tous les noms d'la terre
Et encor' d'aut's bien moins courants
Ça l'a réveillé aussi sec
Et il m'a dit arrête ton charre
Tu m'prends vraiment pour un pauve mec
J'vais t'en r'filer, d'la série noire
Tu m'fais mal, Johnny, Johnny, Johnny
Pas avec des pieds... Si.!
Tu m'fais mal, Johnny, Johnny, Johnny
J'aim' pas l'amour qui fait bing!
Il a remis sa p'tite chemise
Son p'tit complet, ses p'tits souliers
Il est descendu l'escalier
En m'laissant une épaule démise
Pour des voyous de cette espèce
C'est bien la peine qu'on paie des frais
Maintenant, j'ai des bleus plein les fesses
Et plus jamais je ne dirai
Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny
Envole-moi au ciel... zoum!
Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny
Moi j'aim' l'amour qui fait boum!
1.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2009/12/07/vers-un-sadomasochisme-societal-par-rachid-amirou_1277325_3232.html.
2.
Penser global, R. Laffont et
FMSH, p. 30 et p. 13
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